Le « vieux routier de cour »
Fils de Philippe de Béthune et de Catherine le Bouteiller de Senlis, neveu de Maximilieu de Béthune, duc de Sully, Louis de Béthune est né à Paris le 5 février 1605. Il eut pour parrain Louis XIII, alors dauphin et pour marraine, Elisabeth de France future reine d'Espagne. Sa carrière militaire est particulièrement riche et bien documentée. Mais se contenter de dresser ici la liste de ses faits d'armes ne rendrait pas assez compte de l'estime dont jouissait notre homme en son temps. Laissons plutôt parler l'un de ses contemporains et pas le moindre...
Louis XIV, à l'occasion de l'érection du duché-pairie de Béthune-Charost, en faveur de Louis et Armand de Béthune, en mars 1672, s'exprimait en ces termes, bien difficiles à synthétiser tant le texte est émaillé d'éloges : « L'application que Nous avons au gouvernement de notre Royaume, Nous a fait connoitre par notre propre experience qu'il est également important pour notre réputation et pour la gloire de notre Estat, d'en remplir les premieres dignitez par des Sujets qui en puissent soutenir l'éclat et la grandeur, autant par leurs qualitez personnelles, que par les biens, charges et employs qu'ils possedent dans ledit Royaume, et la bonne volonté que Nous avons toujours eüe pour notre cher et bien-amé Loüis de Bethune, comte de Charost, chevalier de nos Ordres, lieutent-General en nos Armées, Gouverneur de Calais, Fort Nieulay et Pays reconquis, ancien Capitaine des Gardes de notre Corps, Nous rappellons très agréablement le souvenir des recommandables services qu'il a rendus à cette Couronne depuis cinquante ans et toutes les occasions de guerre qui se sont présentées tant en qualité de Mestre de Camp du Regiment de Picardie, aux sièges de la Rochelle, de Privas, de Pignerol, Aletz, à l'attaque du pont de Carignan, et au combat de Veillante, qu'en celle de Gouverneur des villes et Citadelles de Stenay Dun, et de Jametz en Lorraine, où il a souvent signalé son courage et sa valeur, ainsi qu'il a fait depuis dans Luxembourg en qualité de Maréchal de Camp, sous le feu sieur comte de Soissons, ayant fait une retraite glorieuse avec trois cens chevaux et trois cens fantassins seulement, devant une armée de Polonois et de Cravattes, composée de neuf mille chevaux, dont il soûtint l'attaque avec tant de fermeté et de vigueur, qu'encore que son cheval eût été blessé de neuf coups , et tué sous lui, il essuya tout le feu des Ennemis, et après avoir soigneusement ralliez son Infanterie, le retira à sa tête dans un très-bon ordre ; le bonheur qu'il eut aussi l'an mil six cent cinquante-six de secourir nos villes d'Amiens et d'Abeville à la veuë de l'armée d'Espagne, composée de quarante mille hommes, commandés par le Cardinal Infant, lui ayant fait mériter ledit gouvernement de Calais, Fort de Nieulay et Pays reconquis, dont il fut lors pourveu par notre très-honoré Seigneur et Pere, Nous voulumes bien à son exemple, et par l'avis de la Reine notre très-honoré Dame et mere, lors regente de notre Personne et du Royaume, témoigner audit sieur comte de Charost, la satisfaction qui Nous restoit des importants et recommandables services qu'il Nous rendit ensuite aux sieges d'Aire et de Gravelin, et pour lui en donner un témoignage qui ne fut pas moins éclatant dans le public, qu'il étoit essentiel pour l'établissement de la famille, Nous accordâmes la survivance des sa charge de Capitaine des Gardes de notre Corps, à notre cher et bien-amé Armand de Bethune, marquis de Charost son fils, bien qu'il ne fut lors âgé que de quatre ans, et voulumes même lui en assurer l'exercice dès-lors qu'il auroit atteint sa dixiéme année, aussi ledit comte de Charost Nous a-t'il donné en toutes occasions des marques si assurées de sa reconnoissance et sa fidelité inviolable à notre service, que dans les temps même les plus difficiles, il a sçu encore meriter la qualité de duc et pair de France, que Nous lui assurâmes par notre Brevet du trois Février mil six cent cinquante-un, et aïant pris depuis un soin particulier de répondre toujours dignement à cet honneur, il profita glorieusement de la nouveelle occasion qu'il eut de se signaler à la prise du Fort-Philippe, qui causa une deversion d'armée aux Espagnols qui nous fut très-avantageuse pendant le siege d'Arras, mais cette action quoique très-vigoureuse, aïant été suivie d'un autre bien plus considerable en mil six cent cinquante-sept, auquel temps notre ville de Calais se trouvant dépourvûë de la plus grande partie de sa garnison que nous avions été obligé d'en tirer pour la sûreté d'Ardres et autres Places qui sembloient en avoir plus besoin pendant le siege de Montmedy, où notre armée étoit occupée. Les Espagnols assemblerent toutes leurs forces pour surprendre cette Place ainsi dégarnie, mais ledit sieur Comte soutint si vaillamment leur attaque avec le peu d'hommes qu'il étoient restez, que ce fut principalement par son courage, prudence et bonne conduite que nous conservâmes pour lors cette importante Place, aussi aïant voulu qu'elle servit de monument et marque perpetuelle de sa fidelité et de sa valeur, Nous résolûmes de notre propre mouvement d'en continuer le gouvernement dans sa famille et en fîmes à cet effet expedier la survivance en faveur dudit sieur marquis de Charost, à quoi nous nous portâmes d'autant plus volontiers que Nous regardions dès-lors le zele, l'affection et la fidelité dudit sieur comte de Charost, comme hereditaires dans la famille, puisqu'il a non seulement en cela imité l'exemple de ses ayeux, singulierement celui de notre très-cher et bien amé Philippe de Bethune, Chevalier de nos Ordres, Comte de Selles et de Charost son pere […] mais qu'outre cela ledit sieur Comte de Charost a encore pris une attache particuliere de transmettre et faire passer tous ces bons sentiments en la personne dudit sieur marquis de Charost son fils […] en sorte que ce n'est pas seulement l'extrême satisfaction qui Nous reste des grands et importants services du pere, mais encore la consideration particuliere du fils, et le merite qu'il s'est déjà acquis auprès de Nous qui Nous convie à ériger la terre de Charost en titre et dignité de Duché et Pairie de France, et les rendre dès à présent l'un et l'autre participans de tous les droits, honneurs et prééminences qui y sont attachez ; en quoi Nous avons consideré aussi que lesdits sieurs comte et marquis de Charost pere et fils, sont issus de la maison des anciens Seigneurs de Bethune, l'une des plus anciennes et plus illustres de notre Royaume, que les Histoires et titres de leur famille justifient estre alliée aux maisons Royales, et autres grandes maisons de l'Europe ; et étant d'ailleurs bien informez que ladite Ville, Terre et Seigneurie de Charost en Berry, avec celles de Millandres, Fontmoreau, Grand et Petit Bois, Boisseau et Peluis, mouvantes de Nous, à cause de notre grosse Tour d'Issoudun, et Terre et Segneurie de Fublains aussi mouvante de Nous, à cause de notre Chasteau de Mehun sur Yevre et leurs dépendances appartenans audit sieur Comte de Charost, sont assez considerables pour soutenir le Nom, Titre et Dignité de Duché. […] Nous voulons que ledit Duché et Pairie soit appellé Duché et Pairie de Bethune-Charost […] et que dès à présent et dorénavant nosdits cousins soient nommez : Sçavoir, notredit cousin Loüis de Bethune, Duc de Bethune, Pair de France, notredit cousin Armand de Bethune, Duc de Charost, Pair de France... ».
Plus tard, Saint Simon, à l'année 1711, Chapitre XVIII de ses Mémoires, écrivait : « Ce comte de Charost se trouva un homme de mérite qui se distingua fort dans toutes les guerres de son temps, et qui y eut toujours des emplois considérables. Il s'attacha au cardinal de Richelieu, jusqu'à s'en faire créature ; cette protection lui valut la charge de capitaine des gardes du corps […].
Le cardinal de Mazarin, qui se piqua d'aimer et d'avancer tout ce qui avait particulièrement été attaché au cardinal de Richelieu, rechercha l'amitié du Comte de Charost, et le mit en grande considération auprès de la reine mère, et ensuite auprès du roi, qui le regardèrent toujours comme un homme de tête et de valeur.»
Louis de Béthune apparaît ici comme un homme respecté à la cour. Plus loin, Saint Simon le qualifie de « vieux routier de cour », d'« habile homme » et relate qu'il a su se montrer fin politique à son propre avantage et au bénéfice de ses descendants. C'était un homme intelligent et d'une extrême droiture, à n'en pas douter.
Mais plus qu'une fidélité au royaume de France, qu'une aptitude à servir pour être mieux servi, ces quelques lignes indiquent surtout le lien particulier unissant Louis de Béthune à Richelieu. Ajoutons-y un témoignage directe, par cet extrait d'un billet du 26 juin 1637, adressé à Charost par Richelieu lui-même et la qualité d'un tel lien n'en sera que plus palpable: " Brave Charost [...]. Assurez-vous toujours de l'affection de celui qui est et sera toujours le meilleur ami du cadet de Béthune et votre très affectionné à vous servir. " (AVENEL, Lettres du Cardinal de Richelieu, t.V p 595). Ce pourrait être ici le point de convergence rendant possibles d'éventuels contacts entre Philippe de Champaigne, portraitiste quasi attitré du prélat et notre duc de Charost.
Question de date.
Nous l'avons dit, aucune date n'accompagne le tableau qui nous occupe. L'inscription elle-même, trop peu fiable, ne fournit aucun élément direct ou indirect sur ce point. Dans l'hypothèse où elle s'avérait juste, nous pourrions toutefois avancer que Louis de Béthune aurait pu être dit "marquis de Charost" jusqu' à la mort de son père, Philippe de Béthune, pour hériter à la suite, du comté de Charost. Notre tableau serait alors antérieur à 1649.
L'indice le plus significatif reste celui du col porté par Louis de Béthune. Il s'agit d'une version simplifiée du grand col rabattu ou col à rabats de dentelle qui avait marqué le règne de Louis XIII. Réduit en taille et bordé de festons de moins en moins prononcés, durant la décennie 1640-1650, il prit la forme plus linéaire qu'on lui voit ici, dans les années 1650-1655, avant de s'étendre encore sur les épaules et la poitrine, s'ajourer de dentelles plus larges, vers 1660, pour finalement être remplacé par la cravate.
Louis de Béthune étant né en 1605, il serait donc âgé de 45-50 ans, en 1650-1655 ; ce qui ne semble pas entrer en contradiction avec l'image qui en est donnée par le peintre.
A cette époque, sa carrière militaire au service du royaume de France est déjà remarquable. Ses actions lors de différents sièges et batailles lui ont valu des charges et responsabilités d' importance : il était devenu maître de camp du régiment de Picardie, dès 1627, avait obtenu le gouvernement des ville et citadelle de Stenay, en 1633, le commandement de la seconde Compagnie française des Gardes du corps du Roi, en 1634 ; avait été créé maréchal de camp, en 1636. A cette même date, il avait obtenu le gouvernement des ville et citadelle de Calais et pays reconquis avant d'être nommé gouverneur de Fort Nieulay, en 1642.
Par provisions du 20 septembre 1650, il est créé Lieutenant Général des Armées du Roi et en février 1651, il obtient de Louis XIV, un brevet qui lui assure la qualité de duc et pair de France. Même si il trouvera encore à se distinguer par la prise de Fort Philippe, en 1654 puis la sauvegarde héroïque de Calais, en 1657, on peut penser qu'aux alentours de 1650-1651, Louis de Béthune est déjà dans une gloire telle qu'il puisse légitimement souhaiter en transmettre une part à la postérité par le biais d'un portrait - à moins qu'on l'ait souhaité pour lui... - Et ce d'autant plus, qu'en août 1648, il avait été disgracié et destitué de la Compagnie des Gardes du Roi pour avoir refusé, en dépit des ordres de la Reine Mère, de servir à la place du marquis de Gesvres ; une affaire assez importante pour que Philippe de Béthune, le père, ait cherché à intervenir auprès d'Anne d'Autriche et de Mazarin pour la réhabilitation du fils. Finalement rétabli par provisions du 9 novembre 1649, il pouvait estimer, suite à cet épisode, que la considération dont il jouissait alors était propre à faire plier les plus hautes influences du pouvoir.